- Titre
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L'Écoute
- Paris : Desclée de Brouwer, pp 151-198
- Mots clés
- vide - plein, hors concepts, lieu d'écoute, écoute infinie, parole.
L'auteur emprunte une simple et surprenante répétition de verbe « Ecouter écouter » pour intituler le quatrième et dernier chapitre de son ouvrage. Cette réitération verbale sert l'écoute en soi, à la fois, en reflétant avec justesse sa dimension holistique et en traduisant son exigence et sa puissance. Il s'agit d'une approche non conceptuelle de l'écoute.
Elle ne réfère ni aux modèles ni aux catégories. Cette démarche est hors du champ de la théorie qui applique, par définition, ses concepts (par exemples conscient, inconscient) et ses méthodes. Si une théorie était éventuellement employée pour définir cette écoute, elle en écarterait le « point obscur » écoutant, point hors de vue qui est « ouverture de l'oreille ». C'est un point de retournement qui correspond en quelque sorte au passage du « rassurant connu » au « nouveau monde inconnu » depuis lequel il est important de trouver un autre espace que le théorique pour la nécessaire communication de l'écoute. Celle-ci est primordiale et nécessaire. En effet, elle précède et ne cesse de précéder toute théorie, toute maîtrise du savoir.
Le chemin traversé pour explorer cet espace « hors lieu connu » peut déboucher sur le vide. Mais de quel vide s'agit-il ? Un vide dans le vide, où, qui en vient là se défait de la folie du monde ? Ou la vacuité libératrice et salvatrice, passage vers ce vide-plein, où se nourrit l'homme, défait de lui-même et de toutes les illusions du monde ? Il semblerait, dans ce cas, que cela soit - une épreuve de mort - autre que la mort physique. L'humilité est incontestablement - présente - dans ce cheminement.
D'où écoute l'écoutant ? S'il peut supporter le vide-plein, donc un lieu où entendre ne coïncide aucunement avec la « mise à mort », de l'autre ou de lui-même, alors il sera prêt à tout entendre. Depuis cet espace - hors lieu connu -, s'ouvre un champ immense de « ré-écoute » où l'homme retrouverait la naissance de l'humanité en lui-même. L'homme écoute et entend. Entendre, c'est originellement, perdre la catégorie qui juge (catégorein, en grec c'est aussi et d'abord accuser). Hors de toute région connue, l'homme écoute autrement, non par les catégories, qui donnent à voir et à saisir, mais par - les paroles - qui se donnent à entendre. Il semble que ce qui s'offre alors, c'est d'écouter l'écoute elle-même. En somme, le très simple. D'ailleurs, le contenu n'est plus le discours théorique. C'est la parole entière, - de tout le corps - et non pas seulement celle qui, fixée au « théorein » (en grec c'est observer), ne réfère qu'à la vue.
Cependant, subsiste un danger : la rationalisation. Elle supprime l'écoute en son lieu même. C'est le grand « faire taire » initial qui autorise uniquement le droit de vivre dans l'effondrement et l'étouffement de la parole, c'est-à-dire dans la non vie. Cela met - hors de l'homme - ce qui habite l'homme, ce que réellement il est. Comme l'exprime Bellet, la parole n'est en rien opposée au silence. Elle est « ... le silence plein, agissant, comme le silence qui précède la musique... ».
L'écoute infinie s'offre uniquement à l'écoute qui est silence. L'écoute est là une fois le verbiage dépassé. C'est à partir de là que survient l'écoute elle-même. Il semblerait alors que les êtres humains deviendraient muets...
Virginie HINGRE